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L’Abbaye Royale de Beaumont lès Tours – Henriette-Louise-Marie-Françoise-Gabrielle de Bourbon

Sainte-Marie de Beaumont valait bien les six siècles de rivalités et de luttes qui avaient précédé cette décision.

Car Sainte-Marie de Beaumont était belle. La renommée de ses jardins, dont un grand nombre d’oiseaux des îles étaient le précieux et délicat ornement, dépassait les frontières du royaume. L’équilibre et l’harmonie de ses bâtiments, en particulier le cloître, l’orangerie et le logis abbatial, étaient unanimement loués. Et il n’est pas interdit de penser que nombre de vieilles demeures tourangelles que nous admirons aujourd’hui se sont inspirées des richesses architecturales de la vieille abbaye. 

Abbaye de moniales bénédictines peut-être fondée vers 580 à Tours par Ingeltrude, tante du roi Gontran, transférée vers 1002 à Beaumont-lès-Tours par Hervé de Buzançais. Fondation approuvée par le roi en 1007. L’abbaye dépendait pour le temporel du chapitre de la collégiale Saint-Martin de Tours; pour le spirituel elle resta toujours fidèle à la règle de Saint-Benoît.

Ingeltrude, fille de Clothaire Ier, donna les premiers commencements, environ l’an 580, à l’abbaye de Beaumont qui s’est depuis élevée jusqu’au comble de grandeur et de piété qui l’ont fait éclater en France ; cette princesse étant veuve, conçut le dessein de consacrer le reste de ses jours à Dieu, dans une sainte retraite ; et animée d’un mouvement si pieu, elle résolut de faire un voyage au tombeau de saint Martin, si célèbre en ce temps par les continuels miracles qui attiraient de tous cotez la dévotion des peuples ; elle ressentit pour lors en ce saint lieu qu’un attrait intérieur de Dieu l’engageait à passer près du tombeau de ce grand saint le reste de sa vie.

C’est pourquoi elle établit sa demeure dans l’espace le plus proche qu’elle peut ménager auprès de cette église, et elle y lit construire une chapelle, qu’elle lit dédier sous le nom de Nostre-Dame-de-l’Ecrignole, c’est-à-dire selon que quelques-uns l’ont interprété, Excellente ou Principale ; elle ajouta un bâtiment près de cette chapelle, où elle assembla plusieurs vierges et veuves qui se joignirent à ce pieu dessein pour former ensemble une communauté. Mémoires archéologiques, t. xxvi. 1

Elles prirent toutes ensembles avec Ingeltrude l’habit de pénitente et la reconnurent toujours pour leur Dame et leur abbesse, comme écrit Grégoire de Tours, lib. IX. Hist. des Francs, chap. XXXIII, qui ajoute même qu’elles en firent élection.

Ingeltrude ne se montra pas seulement la première à commander, mais aussi à pratiquer tous les exercices de vertu et de piété dont elle était un exemplaire. Leur principal office était l’oraison, la prière et l’assistance à la psalmodie qui se chantait continuellement dans Saint-Martin ; c’est ce qui obligea les moines de Saint-Martin de leur accorder un certain espace dans l’église, séparé du commun et fermé de treillis, pour donner lieu à ces saintes filles d’entendre l’office avec plus de commodité et de récollection par cette clôture.

Ingeltrude y fit élever un autel sous le titre du Crucifix, qui se trouva dans la suite incommode pour sa situation, qui se rencontrait au milieu de la nef; c’est ce qui porta, longtemps après, les chanoines de l’église de Saint-Martin de demander le consentement d’Hermengarde de Montloe, abbesse de Beaumont, pour transporter cet autel dans une chapelle de la même église, du côté du septentrion ; cela se fit en L’an 1179, et ce lieu retient encore aujourd’hui le nom de la chapelle du Crucifix vert, dont le chapelain est à la collation de Mme l’abbesse de Beaumont; car nous allons voir dans la suite, comme le monastère de l’EcrignoIe s’étant augmenté d’un grand nombre de religieuses qu’un lieu resserré dans des bornes trop étroites ne pouvait contenir, et l’usage de chanter l’office divin ayant été introduit et établit en France pour les monastères des filles, fut transféré à Beaumont par Hervé, trésorier de Saint-Martin : et la chapelle de Nostre-Dame-de-1’Ecrignole érigée en titre de paroisse, l’an 1211, dont la nomination est demeurée attachée à l’abbaye de Beaumont.

Entre les premières qui se consacrèrent à Dieu dans ce monastère de l’Ecrignole fut Bertegunde, veuve et fille de la même Ingeltrude.

 Il y avait eu un peu devant cette retraite de Bertegunde, un grand procès entre sa mère Ingeltrude et elle, pour une donation faite par Bertram, archevêque de Bourdeaux, fils d’Ingeltrude, en faveur du mary de Bertegunde; Childebert, IIe du nom, roi de France, députa Grégoire, archevêque de Tours, et Mérovée, évêque de Poitiers, pour terminer ce procès, en qualité de commissaires. Mais ils trouvèrent les esprits si échauffez et si altérez qu’ils ne purent les faire entrer dans des sentiments de paix et accorder le différend; néanmoins l’affaire s’étant dans la suite pacifiée d’elle -même, Bertegunde, étant devenue veuve, se retira avec sa mère au monastère de l’Ecrignole, comme aussi deux nièces d’Ingeltrude, filles de ses soeurs, Chunsene et Clodesinde, prirent le même parti et y profitèrent tellement dans la vie spirituelle, que l’une des deux succéda, après la mort de sa tante, au gouvernement et conduite de ce saint monastère.

Ingeltrude avait cette pieuse coutume, avec sa communauté, de recueillir et amasser l’eau que l’humidité de l’air et du lieu faisait couler du tombeau de saint Martin et la ramasser “dans des vaisseaux, pour la conserver et distribuer aux malades, qui en recevaient souvent la santé.

Il arriva un jour, au rapport de Grégoire de Tours, qu’un saint prêtre breton de nation, eut recours à elle pour lui demander de cette eau salutaire, mais s’étant trouvée alors dépourvue de la provision ordinaire qu’elle en faisait, elle fit porter un peu de vin dans un vaisseau sur le tombeau de saint Martin qu’elle fit retirer le lendemain, après qu’elle y eut passé la nuit; puis elle fit appeler ce saint prêtre, qui lui avait demandé l’eau qu’elle avait soin de ramasser dans les temps humides, et lui présentant ce vaisseau de vin, lui dit : Prenez ce vase et mettez- y une goutte de ce peu d’eau bénite qui me reste et l’emportez ; mais ce fut une chose merveilleuse que, d’une seule goutte, ce vaisseau, qui n’était pas à demi plein, se trouva tout rempli de vin, dont ce saint personnage et sa compagnie ayant été

surpris, expérimentèrent une seconde fois la même merveille dans un autre vaisseau, où on fit la même épreuve. Le cardinal Baronnius écrit que de là prit origine une coutume de donner du vin bénit et sur lequel on avait invoqué le nom de Saint-Martin, que l’on buvait ensuite en marque d’union et de charité les uns aux autres; mais, par malheur, cette sainte coutume de boire le vin de la Saint-Martin est passée d’une piété en débauches, et d’une dévotion en ivrognerie, ce que déplore ce savant cardinal en ses annales.

Ce monastère a fleuri en piété, au même lieu de l’Écrignole, jusqu’au temps qu’un accident donna lieu à Hervé, trésorier, de le transporter au lieu de Beaumont, où il s’est établi et accru dans la magnificence qui se voit aujourd’hui.

Il arriva un incendie si général dans la ville de Tours, que Saint-Martin et vingt-deux autres églises furent enveloppées et ruinées dans les flammes ; un vieil fragment mss, imprimé parmi les historiens de M. Duchesne, met le temps de cet accident à l’an 994; mais une autre chronique, tirée de la bibliothèque de M. de Thou, rapporte cela à l’an 997, le sixième du règne de Robert, ce qui est d’autant plus croyable que cet auteur en rapporte le détail et les circonstances ; voici ses paroles :

 « l’an de la nativité de Jésus-Christ, 997, le 6 du règne de Robert, le châteauneuf de Saint-Martin fut brûlé avec son église, et vingt-deux autres églises, le 8 des calendes de aoust, sçavoir : du côté de l’orient, depuis Saint Hilaire jusqu’à Nostre-Dame-la-Pauvre (dite maintenant la Riche), et du costé du midy, depuis la porte de Saint Pierre-du-Chardonnet jusqu’à la rivière de Loire (1) » de sorte que l’église et monastère de l’Ecrignole furent consommez par les flammes qui n’épargnèrent rien dans toute celte étendue.

Le bruit d’une perte si considérable se répandit bientôt partout le royaume. Adelaïs, impératrice, veuve d’Othon, envoya une grande somme d’argent pour la réparation de l’église du cloitre de Saint-Martin; elle envoya aussi en même temps le manteau impérial de son fils Othon, dont il s’était servi à la cérémonie de son couronnement, pour faire un ornement d’autel.

Cette princesse recommanda à celui qu’elle avait député pour faire son offrande, de faire cette prière aux pieds de saint Martin: « Recevez, grand évesque et serviteur de Dieu, ce petit présent que vous envoyé Adelaïs, humble servante des serviteurs de Dieu, de soy mesme pécheresse, mais, par la miséricorde de Dieu, impératrice, recevez ce manteau impérial de son fils unique Othon, intercédez pour elle auprès de celuy que vous avez revestu en la personne du pauvre. »

Plusieurs autres princes et grands du royaume étendirent leurs libéralités qui donnèrent lieu à Hervé, trésorier de Saint-Martin de Tours, de réparer la perte causée par cet incendie, tant en l’église de Saint-Martin qu’au monastère de Notre-Dame-de- l’Ecrignole dont il prit, un soin tout particulier.

 Et comme l’abbaye de Beaumont où il les transféra, le reconnait pour son bienfaiteur, il ne sera pas hors de propos d’écrire ici l’éloge de cet homme qui a paru d’un mérite extraordinaire; ce que je ferai, en rapportant ce qu’un célèbre auteur de ce temps a laissé pour conserver la mémoire de la sainteté et de la piété d’un si illustre personnage; il me semble que je dois cela pour seconder les devoirs que lui rend tous les jours cette abbaye qui récite journellement un psautier pour lui, et nous reprendrons ensuite le fil de notre discours.

Cet auteur, après lui avoir donné la gloire d’avoir réparé les ruines de l’église et du cloitre de Saint-Martin, tache de nous tracer un petit abrégé de sa vie, de laquelle, dit-il, si on pouvait faire un écrit entier, depuis sa jeunesse jusqu’au temps qu’il écrivait ce peu d’actions qu’il donnait au jour, on ferait voir un homme d’un mérite incomparable, et puis il commence en ces termes (2) : « Hervé tira sa naissance des

plus nobles du royaume, mais il était encore mieux conditionné de l’esprit que du sang ; ses parents que la noblesse enflait beaucoup d’orgueil et de fierté, eurent soin de l’élever chez eux dans cet esprit de grandeur, mais Dieu le disposait à d’autres grandeurs par des sentiments d’humilité. Il fut ensuite poussé aux études, mais il se contenta d’en acquérir autant qu’il était nécessaire pour son salut, sans en vouloir faire un fonds de vanité et de présomption; c’est pourquoi, désirant de s’éloigner de ce grand éclat, qui perd la plus part des esprits, il se retira dans un monastère pour y demander l’habit; mais la noblesse de ses parents faisant appréhender quelque suite fâcheuse, s’il était reçu contre leur gré, cela fut cause qu’il fut refusé, néanmoins on lui donna parole que, pourvu que ses parents voulussent consentir à son désir, on lui donnerait satisfaction ; mais son père, ayant appris le dessein de son fils, vint aussitôt le retirer de force du monastère et le mena à la Cour du roi Robert, pour l’engager dans le monde.

Ce roi, qui était bon et pieu, bien loin de lui faire perdre le sentiment de sa vocation, au contraire il le loua et l’exhorta à conserver ce dessein; et, pour lui en faciliter le moyen, le pourvut des-lors de la Trésorerie de Saint-Martin de Tours, se proposant dans la suite de l’honorer de quelque évêché ; il lui en fit souvent les offres, mais il les refusa toujours avec beaucoup de générosité ; il se contenta donc de se charger du soin de l’église de Saint-Martin ; et aussitôt prenant un habit blanc de chanoine, il vivait à l’extérieur comme un chanoine séculier, mais il conservait l’esprit et l’intérieur d’un moine dans la pratique continuelle des mortifications et des austérités affligeant son corps de jeûnes, cilices et veilles; néanmoins il n’avait cette dureté que pour lui, étant plein de douceur pour les autres Le temps où il reçut du roi la Trésorerie de l’église de Saint Martin fut celui de son désastre et de son incendie ; il forma aussitôt le dessein de la rétablir et de la rendre plus considérable qu’elle n’avait jamais été; poussé de cette inspiration et secondé des aumônes et libéralités du roi et de plusieurs princes, il assembla des ouvriers et leur traça lui-même les plans et les dessins du bâtiment qu’il prétendait faire, et eut le bonheur de conduire cet ouvrage jusqu’à sa fin.

« Aussitôt qu’il fut achevé, il invita plusieurs évêques pour en solenniser la dédicace et la consécration, dont il fixa le jour à celui que cette église faisait l’ancienne dédicace et

translation de saint Martin, qui arrive le 4 juillet ; il y remit ce même jour le corps de saint Martin, qui en avait été retiré pendant le temps qu’on bâtissait.

 Il est rapporté qu’un peu devant cette solennité, Hervé avait demandé à Dieu d’honorer cette fête de quelque miracle, pour la rendre plus célèbre ; mais comme il était dans cette prière, saint Martin lui apparut et lui dit, d’un accent de voix fort tendre : « Ce que tu demandes, mon fils, tu le peux obtenir, et même davantage, mais Dieu en a fait assez suffisamment pour le temps présent, et les autres que tu demandes ne serviraient pas davantage, parce que c’est maintenant le temps de recueillir la moisson de la semence qui a été jetée en terre, de sorte qu’on ne doit plus rien demander à Dieu que sa grâce et le salut des âmes ; sois assuré que je n’oublie point de prier pour ce sujet, et particulièrement pour ceux qui servent en cette église, car plusieurs d’entre eux sont attachez et trop appliquez aux affaires séculières ,et même engagez au service des armes et de la guerre, où plusieurs sont morts , et je te dirai confidemment que j’ai bien eu de la peine d’obtenir de Dieu qu’ils fussent retirez d’entre les mains des ministres et princes des ténèbres, pour les mettre dans le lieu de joie, de lumière et de rafraîchissement; c’est pourquoi achève ce que tu as commencé avec tant de piété ; Dieu a fort agréable ton travail et tes fondations. »

« Le jour de la consécration étant venu, il s’y trouva un grand nombre d’évêques, d’abbés et de fidèles de tout ordre, de tout âge et de tout sexe. Ce saint homme voulut faire part à cette assemblée de ce que Dieu lui avait révélé et de ce que saint Martin lui avait fait part en son apparition.

La cérémonie de la consécration étant achevée, il se sentit rempli de joie et de consolation intérieure, qui le portèrent encore à redoubler ses austérités et ses ferveurs dans l’oraison. Il choisit sa demeure en une petite cellule proche de l’église, où il passait son temps à chanter, prier et faire lecture; et, après avoir passé quatre années dans celte ferveur, il tomba malade à l’extrémité; le bruit s’en répandit aussitôt et plusieurs y coururent dans l’attente de quelque miracle, mais ce saint homme, les désabusant, demandait humblement leurs prières. Il expira en proférant deux fois ces paroles : Seigneur, ayez pitié de moi; et il fut enterré au même lieu où saint Martin avait reposé ci-devant que son église eut été réparée par les soins d’Hervé. Sa mort arriva l’an 1018, le mois d’avril. »

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